La désobéissance civile dans les mouvements écologistes : c’est contre-productif ?

Récemment, en France, nous avons pu observer de nombreuses actions de désobéissance civile menées par des collectifs écologistes. Ces activistes, qualifiés d’éco-terroristes par le gouvernement de Macron, engagent des actions de plus en plus médiatisées qui font débat. Nous avons pu observer en 2022 des activistes jeter de la peinture ou de la soupe sur des tableaux dans des musées, une activiste s’attacher à un filet de tennis lors de la compétition Roland Garros ou encore des blocages de routes. Plus récemment, en ce début d’année 2023 nous avons vu des activistes repeindre en orange le ministère de l’Écologie à Paris.

Avant tout, rappelons que la plupart de ces actions ne mettent pas en danger la vie d’autrui et n’ont pas de conséquence irréversible contrairement au réchauffement climatique. Il s’agit de mouvements qui se veulent non-violents. Même si dans certains cas des affrontements avec la police suite à ce genre d’actions ont fait des blessés et que des charges pénales peuvent être retenues contre celles et ceux les menant.

Une des réactions à ces actions « coups de poing » que l’on entend régulièrement est l’idée qu’elles seraient « contre-productives ». C’est notamment la réaction qu’a eu le ministre de l’Écologie suite au vandalisme de son ministère, se plaignant ainsi que ce serait dans les pays qui font le plus d’efforts pour l’environnement que se développerait le plus ce type d’actions. Rappelons tout de même que l’État Français a été condamné pour « inaction climatique » en 2021, ce qui n’a pourtant pas empêché Gérald Darmanin, membre du gouvernement actuel, de qualifier les activistes d’ « éco-terroristes ».

Ces actions sont-elles réellement « contre-productives » ? 

C’est difficile à dire. Toujours est-il que ces actions font du bruit et rendent visibles les luttes écologistes. En démontre la médiatisation qu’elles ont eu. Les vidéos de ces actions deviennent pour la plupart virales. Ce qui nous pousse à nous demander : qu’est-ce qu’une action productive ? Est-ce que l’on peut dire que les « marches pour le climat » qui ont certes mobilisé des centaines de milliers de personnes ont été productives ? Elles ont été bien reçues par le public et largement soutenues. Mais qu’en est-il neuf ans après la première marche ? Depuis 2014, on ne peut pas dire que les choses aient drastiquement changé, pourtant de nombreuses marches ont eu lieu. Le dernier rapport du GIEC montre que les politiques mises en place restent insuffisantes pour répondre aux enjeux auxquels nous devons faire face. Les actions de désobéissance civile font débat et n’obtiennent pas un soutien aussi fort que d’autres actions jugées moins radicales. Elles ne sont cependant pas nouvelles et ont parfois porté leurs fruits, comme nous avons pu le voir avec l’abandon du projet de l’Aéroport de Notre-Dame-des-Landes après la création d’une ZAD (Zone à Défendre). De plus, elles permettent aux causes défendues d’occuper un espace médiatique, de se rendre visible et de mettre des débats sur la table. Lora Johnson, l’une des activistes du collectif Just Stop Oil à l’initiative des jets de soupe sur le tableau de Van Gogh, justifie l’intérêt de l’action à Médiapart et déclare : « si vous ne devenez pas viral instantanément, on ne vous écoute pas ».

Ces actions montrent l’urgence dans laquelle nous sommes et le ras-le-bol des militants ne voyant pas d’autres manières d’agir. C’est la position que soutient Julia Steinberger, une scientifique qui a notamment participé à la rédaction du dernier rapport du GIEC et activiste dans les luttes pour le climat. Pour elle les activistes se tournent vers ces moyens d’actions faute de voir les choses bouger et s’améliorer quand ils s’adressent aux pouvoirs publics, elle explique sur le plateau de l’émission Géopolitis de RTS «[…] la volonté politique manque. Du coup, je pense que les mouvements de la grève pour le climat et les autres mouvements sont en train de se tourner vers d’autres cibles et d’autres formes d’action ». Finalement la multiplication de ces actions dites « radicales » dénote l’insuffisance des mesures prises suite à des contestations perçues comme plus modérées.

La fenêtre d’Overton 

La fenêtre d’Overton est un concept très intéressant pour analyser l’impact de ces actions de désobéissance civile différemment. En effet, on s’accorde à dire que la multiplication de ces actions tend à rendre visibles les mouvements écologistes. Mais à quel prix ? Puisque l’on observe que ces actions ne font pas l’unanimité et qu’elles sont souvent jugées comme étant contre-productives ou comme desservant la cause. Ces actions peuvent avoir une autre utilité qui ne nécessite pas de faire l’unanimité, au contraire ! La fenêtre d’Overton cadre ce qui est entendable pour la population. En clair, ce qui est ou n’est pas choquant pour la population. Plus les écologistes font des actions jugées radicales plus d’autres actions seront jugées acceptables en comparaison voire soutenues par la population. En faisant des actions-choc les activistes permettent à d’autres actions de paraître plus modérées. On va par exemple entendre dire que ça n’a pas de sens de jeter de la peinture sur des tableaux tandis que s’attaquer aux grands groupes ferait davantage sens, ces actions vont donc être davantage soutenues. Ce concept est à prendre avec des pincettes car il est très souvent associé aux mouvements d’extrême droite et utilisé pour rendre acceptables des propos de haine (à lire dans cet article de France Culture).

Don’t look up ? 

Ces actions nous permettent aussi de nous rendre compte de l’absurdité de certaines situations. Quand la militante écologiste du collectif Dernière Rénovation s’est attachée à un filet de tennis lors de la demi-finale de Roland Garros 2022 en portant un t-shirt avec l’inscription « We have 1028 days left » se fait huer par le public on a l’impression d’assister à une scène du film « Don’t look up ». L’activiste alerte sur la gravité et l’urgence de la situation et le public la hue, lui reprochant de contrarier leur divertissement. Il n’est pourtant pas certain que Roland Garros puisse avoir lieu en 2050 dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui… Les scientifiques deviennent aussi des activistes et soutiennent certaines des actions de désobéissance civile. Le collectif Scientist Rebelion, par exemple, a mené des actions de désobéissance civile et sa branche française a vu le jour après l’appel de 100 scientifiques à la désobéissance civile dans le journal Le Monde. Ces scientifiques tirent la sonnette d’alarme et défendent l’idée que les actions de désobéissance civile sont un levier nécessaire à la lutte contre le réchauffement climatique. Ils ont jusqu’alors alerté la population et les instances de la situation via des articles ou des rapports et n’ont pas été entendus. Ils écrivent dans l’appel que « les gouvernements successifs ont été incapables de mettre en place des actions fortes et rapides pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence croît tous les jours ». La désobéissance civile apparaît comme un dernier recours. Alors que ces activistes et scientifiques essaient d’alerter sur la situation d’urgence, les médias et les politiques pointent du doigt la forme des actions en évitant de parler du fond. Tout le monde regarde ailleurs.

Marine Moine

La désobéissance civile dans les mouvements écologistes : c’est contre-productif ?