Article #1 : L’intégration du développement durable au sein de l’enseignement supérieur : et si on traitait enfin le problème en amont ?

Cet article est le premier de la série d’articles : Le développement durable dans
l’enseignement supérieur : entre promesses et réalité.


Souvent au centre de l’attention en ce qui concerne la gravité des impacts sociaux et environnementaux qu’elles génèrent, les entreprises privées sont pourtant placées en aval du renouvellement incessant du marché du travail.

En amont se trouvent les universités et grandes écoles qui forment chaque année des dizaines de milliers d’étudiants et étudiantes. Ce vivier de compétences influencera à terme les orientations stratégiques des organisations, qu’elles soient publiques ou privées. 

L’impact que ces futurs actifs laisseront sur le monde dépend donc en grande partie des concepts et méthodes de pensée intériorisés pendant leurs années d’étude, d’où l’apparition du concept de Responsabilité Sociétale des Universités. La question du développement durable se pose ainsi dès la formation des étudiants, c’est précisément ce sujet qui sera traité au travers du présent article.

 

L’impact culturel de l’enseignement supérieur : un levier à exploiter pour un changement profond des comportements

Composantes essentielles de la socialisation et de la construction de l’identité de chaque étudiant, l’éducation et l’enseignement supérieur façonnent les comportements des dirigeants et managers qui s’insèrent chaque année sur le marché du travail. L’intégration des problématiques sociales et environnementales semble ainsi nécessaire dès la formation des futures élites économiques et politiques. 

Il s’agit donc de traiter l’amont du problème. Des étudiants ayant été formés et sensibilisés sur des enjeux tels que l’éco-conception des produits et services, le management inclusif ou l’analyse d’impact environnemental seront plus à même d’intégrer une fibre responsable à l’organisation dans laquelle ils évolueront après leurs études. Dans ce cas, la Responsabilité Sociétale des Entreprises commence par la Responsabilité Sociétale des Universités. 

“Responsables de la formation de plus de 2,5 millions d’étudiants, (les) acteurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ont une forte responsabilité quant au changement de la société par une éducation adaptée au monde de demain, nécessairement plus durable” précise Alexandre Levillain dans ce rapport, avocat et enseignant de droit à l’IPAG Business School, initiateur d’un module Éthique des affaires et d’un module Economie Sociale et Solidaire au sein de deux masters de l’école. Les universités et grandes écoles ont donc bien un impact culturel notable qui se traduit par la formation de leurs étudiants. 

Des initiatives intéressantes mais dont les effets restent difficiles à évaluer. 

Quelques initiatives vont dans le sens d’une responsabilisation de l’enseignement supérieur. Le Grenelle de l’Environnement de 2007 pose les bases de l’intégration du développement durable au sein de l’éducation. Néanmoins, cette intégration concerne davantage les cycles de formations primaires et secondaires que ceux de l’enseignement supérieur et les effets de l’ensemble des mesures prévues restent encore une fois difficiles à évaluer. 

La création de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Universités en 2012 préfigure également l’importance grandissante des préoccupations liées aux impacts de l’éducation sur la société. Un peu plus tard, en 2014, un premier référentiel à destination des établissements d’enseignement supérieur est créé sous l’impulsion de la conférence des grandes écoles : le guide FECODD pour Formation, Education, Compétences, Objectifs du Développement Durable. 

La création du label DD&RS fin 2015, du guide de compétences DD&RS et du Sulitest viennent compléter les outils mis en place par l’Enseignement Supérieur pour diffuser et impliquer les différents établissements en matière de développement durable. De plus, l’intégration récente de critères de développement durable dans le référentiel d’évaluation des établissements d’enseignement supérieur par le Haut Conseil pour l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES), une autorité publique indépendante, est une piste intéressante. 

Des effets limités et une faible attention portée sur l’enseignement supérieur par la société civile 

Selon une étude du cabinet Paxter commandée par le Ministère de la Transition Écologique, seulement 38% des 156 établissements d’enseignement supérieur français interrogés déclarent intégrer la transition écologique au sein de leur stratégie. Ce chiffre, relativement faible certes, est tout de même accompagné d’une nette amélioration des pratiques et de la prise en compte des enjeux environnementaux par les écoles. Cette proportion faible montre également un changement de pratiques très récent, bien que prometteur selon les auteurs du rapport. 

Des initiatives existent donc bien mais ce mouvement de responsabilisation des écoles, dont les effets ne sont pas encore réellement mesurables, reste assez récent. La création du projet Shift My School ou la signature de plus de 30 000 étudiants du Manifeste Pour un Réveil un Écologique rappellent que les efforts de l’enseignement supérieur ne sont toujours pas au niveau du “défi du siècle”, comme il est parfois nommé. 

Un autre phénomène ne joue pas en la faveur de ce défi. La responsabilité de l’enseignement supérieur est souvent mise de côté au profit d’une attention renforcée et d’une forte médiatisation des agissements des organisations privées. Les entreprises sont notamment au cœur des débats et des préoccupations de la société civile. Il semble tout de même bon de rappeler qu’avant de prendre une décision dans son entreprise, chaque individu a intériorisé des années d’enseignement et de méthodes lors de sa formation. S’attaquer directement à la transformation de l’enseignement supérieur semble ainsi être une solution intéressante pour espérer une réelle transition sociale et environnementale des organisations. 

Conclusion 

Les établissements d’enseignement supérieur jouent un rôle clé dans la formation des futures travailleurs et travailleuses insérés sur le marché du travail. Afin d’espérer une transition sociale et environnementale sérieuse, ces jeunes actifs ont tout intérêt à intérioriser les enjeux du développement durable en amont de leur activité professionnelle afin d’éviter ses potentielles dérives. 

Les entreprises privées ne sont donc pas les seules organisations devant être pointées du doigt concernant leurs impacts sur la société et l’environnement. L’impact culturel substantiel de l’enseignement supérieur doit être piloté à des fins d’anticipation et de préparation des jeunes générations aux défis sociaux et environnementaux de demain. 

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur a commandé en 2020 un rapport intitulé “Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur”. Un objectif ressort de ce groupe de travail : “avoir former 100 % des étudiants de bac+2 d’ici cinq ans”. Qu’elle soit cohérente ou irréaliste, cette déclaration marque un clair accroissement des préoccupations liées à la responsabilité sociétale des universités et grandes écoles françaises.

Pablo Maria