Les classes populaires : Une force insoupçonnée de la lutte écologiste ?
Nota bene : cet article est pensé comme un essai présentant, par quelques idées succinctes, comment les classes populaires peuvent être considérées comme une force de la lutte écologiste. Il n’a ainsi pas un but didactique, mais a davantage l’ambition d’ouvrir une fenêtre à la discussion pour que l’écologie puisse être pensée de façons plurielles, avec les regards de chacun.e selon les positions sociales et économiques de tou.te.s.
Un mouvement social paradoxal
Les mouvements sociaux meuvent nos sociétés, ils participent à leurs transformations, ils permettent d’établir des forces résistantes face à des pouvoirs qui s’égarent, qui dévient, qui deviennent singuliers, le fait d’un groupe dominant, qui jouant par les règles qu’il invente, opprime et redirige la redistribution à son simple avantage. Chaque mouvement social est le reflet d’une société, un tableau particulier permettant de saisir les couleurs et les reliefs de l’oppression. Depuis les années 70, une révolution s’est teintée de vert, des gens se sont assemblés et ont dénoncés un modèle sociétal : celui de la surproduction et de la surconsommation, le monstre capitaliste, qui produit, détruit, plus qu’il ne crée. Cette révolte relève l’oppression de la terre, des écosystèmes, de la biodiversité ; elle montre la pollution, les gaz à effet de serre, le néfaste pour le vivant, elle manifeste aussi comment les inégalités sociales se creusent dans l’écologie : les plus pauvres étant bien souvent les plus exposées aux risques environnementaux. Pourtant, cette révolte n’est pas portée par ciels qui subissent les premiers, par leurs positions sociales et économiques, les désordres et fléaux des risques environnementaux. L’écologie politique se dotent, majoritairement, de personnalités issues des milieux intellectuels supérieurs et des classes aisées. Or, si leur place est légitime, en ce que la surexploitation, que dénonce l’écologie, tend à mettre en danger l’ensemble de notre monde, elle peut, par plusieurs aspects, sembler paradoxale. Cela car l’appropriation de cette lutte par ces seules personnes, ayant une vision particulière et incomplète liée à leurs positions dans l’espace social, peut conduire à invisibiliser d’autres revendications dont les seuls observateurs sont ciels qui y sont confrontés le plus fortement, les classes populaires, qui apparaissent alors être les seules capables de dénoncer et de révéler ce que l’écologie politique a oublié.
Une histoire des mouvements écologistes en défaveur des classes populaires
Pour comprendre pourquoi ces mouvements sociaux, pouvant, par leurs revendications, relier une hétérogénéité majoritaire des différentes positions sociales et économiques, restent l’apanage d’un groupe plus ou moins homogène d’individus, il nous faut rappeler quelques éléments contextuels sur l’émergence des premiers souffles de la révolution verte.
Au cours du XVIème siècle, les occidentaux ont renforcé la distinction établie entre la nature et la culture, cela notamment à travers la colonisation. Par ces expéditions colonisatrices ils vont prendre le contrôle de la nature, à travers une exploitation exponentielle et une transformation de l’environnement. Cette destruction massive, qui participera à la disparition d’un certain nombre d’espèces, amènera une trace de conscience écologique chez les colons dès le XVIIème siècle, ces derniers tenteront de contenir les effets destructeurs de leurs exploitations, au travers notamment de lois. Mais si ces nations colonisatrices portent en elles les premiers morceaux de conscience écologique (cela car elles sont intimement liées à une destruction environnementale massive), les mouvements sociaux écologiques n’émergent pas immédiatement par suite de celle-ci. Ce n’est qu’au cours du XXème siècle qu’ils vont progressivement apparaître. Ceci en lien, notamment, avec l’apparition d’une critique des modes de consommation et d’exploitation qui ont participé à un changement massif du paysage, déjà endommagé par les deux guerres qui ont occupé la moitié de ce siècle. Toutefois, ces contestations restent le fait de certains intellectuels s’intéressant à l’environnement. On ne peut parler réellement de mouvement social écologique qu’à partir de la fin des années 60, entre autres, grâce au mouvement de « retour à la nature » propageant des nouvelles façons de vivre. Par cet intérêt populaire, le ministère de l’Environnement sera créé en 1971 par le gouvernement de Georges Pompidou et en 1974 apparaît le premier candidat écologique à l’élection présidentielle, René Dumont. Ce développement continuera à se répandre jusqu’à ce que dans les années 2000 apparaissent des luttes écologiques locales et des défenses de territoires au nom de l’environnement (nous pouvons ici citer le mouvement de Notre Dames des Landes).
De cette brève présentation, nous pouvons voir que la lutte écologique a d’abord été portée par les classes intellectuelles supérieures et par l’état (qui pour endosser la critique écologiste l’a reprise à son compte et en a fait un de ses combats publics). Mais il apparaît que ces mouvements écologistes, ainsi formés et diffusés par les classes intellectuelles supérieures et par l’état, tendent à discréditer les classes populaires dans la lutte écologique. Cela, premièrement, car les revendications écologiques sont imposées à travers une logique top down (qui implique qu’une partie de la population qui sait impose aux autres sa propre perception du problème, et donc la façon dont il faut y répondre, ceci sans que chacun.e puisse être constitutif de ce savoir) ; ensuite car elles sont reprises par le modèle capitaliste qui tend à rendre individuelle la responsabilité des effets environnementaux délétères, diabolisant des comportements attribués aux personnes issues des classes populaires, tels que la consommation de produits alimentaires moins chères mais moins respectueux de l’environnement (et invisibilisant par la même le rôle que joue la structure capitaliste de la société dans la création de ces effets) ; et enfin car ces revendications sont celles d’une partie de la population qui, privilégiée, a mis en avant des revendications immatérielles, détachées des inégalités sociales et économiques. Or, l’écologie est le reflet de ces inégalités et en ce sens est porteuse de revendications matérielles, sociales et économiques.
Des classes populaires porteuses de ressources pour l’écologie
Si nous venons de montrer, très brièvement et de façon bien incomplète, que les mouvements écologistes, par leurs structures, peuvent tendre à exclure les personnes issues des classes populaires de l’écologie, nous voulons défendre ici que ces personnes ont par leurs modes de vie et par leurs positions sociales des forces d’actions écologiques diverses qui peuvent constituer une véritable ressource.
Tout d’abord, en ce qui concerne les modes de vie, il apparaît que les classes populaires sont celles qui ont les taux de GES (Gaz à effet de serre) les plus faibles. Cela notamment car elles utilisent moins de technologies polluantes (comme le SUV, les électroménagers de confort), mais également car leurs habitudes et modes de vie sont plus locaux et sont peu émetteurs de GES. Nous pouvons illustrer cela avec le cas des pratiques de loisirs, les personnes issues des classes populaires favorisent des pratiques qui n’utilisent pas de matériaux polluants et qui ne demandent pas de quitter son lieu d’habitation, comme aller marcher, être dans un jardin partagé, aller au parc. Au contraire, les classes plus aisées vont avoir tendance, dans leurs pratiques de loisir, à partir plus loin et à avoir des pratiques plus onéreuses, tant financièrement qu’écologiquement (comme partir en vacances au ski). Si, dans le cas des classes populaires, on peut voir cette modestie à travers le terme de « sobriété forcée », nous pensons qu’on ne peut réduire ces pratiques à des simples contraintes matérielles. En effet, si ces pratiques sont, sans aucun doute, liées à des limitations économiques réelles, il peut apparaître que les classes populaires ont développés et élaborés des modes d’existences s’ancrant dans une philosophie de vie épicuriste.
C’est ce que souligne le sociologue Paul Ariès, qui montre, par exemple, que les personnes issues des classes populaires ont une relation à l’espace-temps différente de celles des autres classes, ce qui peut justifier leurs modes de vie peu consommateurs. Il énonce que « les sociologues ont noté cette tendance populaire à prendre son temps, sinon à le perdre » (Ariès, 2015). Or cette relation au temps qui ne demande pas à être comblé est une dimension qui explique que ces personnes ne ressentent pas le besoin de surcharger leurs emplois du temps de voyages et d’activités, qui incluraient des trajets et des moyens entraînant des effets désastreux (tels que l’avion). Plus encore, Paul Ariès énonce que ces populations, parce qu’elles ont moins utilisées et moins bénéficiées du progrès (dans les conditions de travail ou dans la maladie par exemple), ont « des prédispositions pour mieux prendre consciences de nos propres finitude et faiblesse et avec elles celles des écosystèmes » (Ariès, 2015).
Au-delà des pratiques quotidiennes et des pratiques de consommation, au niveau des actions collectives, les classes populaires semblent là aussi posséder des savoirs et compétences qui peuvent nous échapper. Ariès énonce que les personnes proches des milieux populaires ont tendance à exercer des métiers qui favorisent la coopération et la coordination (ce fut le cas des ouvriers), et, de ce fait, elles développent des compétences fortes dans la mise en place de mouvements collectifs. Nous pouvons illustrer cela par le mouvement des gilets jaunes, qui a étonné par ces nouveaux modes d’actions (blocage local : tel que les blocages de ronds-points dans différentes villes, voire villages ; durée longue ; manifestations locales et multiples). En conséquence, par ces nouveaux modes d’actions, ces individus peuvent amener les mouvements sociaux écologistes à se renouveler dans leur agir et donc à étonner, à marquer la sphère publique.
Nous finirons ce court essai, en énonçant que les classes populaires, parce qu’elles sont exposées à un ensemble d’inégalités et d’injustices, sont celles qui sont le plus à même d’amener une convergence des luttes, et donc de renforcer l’opposition face à un pouvoir et un modèle sociétal néfaste et destructeur pour les humains, pour l’égalité, pour la liberté de vivre de chaque être vivant, pour la biosphère, pour tous les écosystèmes, pour la mer, les oiseaux et le ciel, soit pour tout ce qui existe dans le monde.
Nous énonçons ainsi que face à l’autodestruction qu’amènent les automates banquiers, la révolte des classes populaires est peut-être le poids qui renversera la balance du tragique destin qui nous attend.
Camille Schönig
AgissonsQuelques sources indicatives :
- BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Eve, Le nouvel esprit du capitalisme. Edition Gallimard, 1999
- COMBY Jean-Baptiste, La question climatique, genèse et dépolitisation d’un problème public. Edition Raison d’agir, 2015
- DONDEYNE Christèle, LEVAIN Alix, « La place est-elle prise ? Contributions des Gilets jaunes aux luttes socio-environnementales locales. Pistes d’analyse à partir du cas finistérien », Écologie & politique, 2021/1 (N° 62), p. 67-82. URL : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2021-1-page-67.htm
- LE STRAT Anne, « L’écologie peut-elle être populaire ? », Mouvements, 2002/4 (no23), p. 76-80. DOI : 10.3917/mouv.023.0076. URL : https://www.cairn.info/revuemouvements-2002-4-page-76.htm
- MATAGNE Patrick, « Aux origines de l’écologie », Innovations, 2003/2 (no 18), p. 27- 42. DOI : 10.3917/inno.018.0027. URL : https://www.cairn.info/revue-innovations2003-2-page-27.htm